Introduction : Le Sujet face à la Connaissance de l'Autre
Aborder la question de la connaissance d'Autrui nécessite de définir d'abord le sens du terme connaissance, puis de poser la problématique qu'elle soulève, ainsi que les différentes positions philosophiques. La connaissance désigne l'activité par laquelle le sujet tente d'appréhender et de comprendre un objet. Elle repose donc sur deux éléments fondamentaux : le Sujet (le Moi), qui effectue l'acte de penser et de comprendre, et qui se caractérise par la liberté, la volonté et la conscience ; et l'Objet, qui est la chose vers laquelle le sujet connaissant est dirigé, et qui est inerte car dépourvu des qualités distinctives du sujet.
La Problématique de la Connaissance d'Autrui
La problématique soulève les questions fondamentales suivantes :
- Quelle est la signification des concepts d'Autrui et de Connaissance❓
- Si nous acceptons la nécessité de l'existence d'Autrui, pouvons-nous parvenir à une connaissance certaine de lui, ou notre connaissance est-elle conjecturale et impossible ❓
- Et si nous acceptons la possibilité d'une connaissance certaine d'Autrui, le Moi constitue-t-il une condition essentielle pour connaître cet Autrui❓
📚 Concepts Clés
Autrui
Désigne communément l'autre, différent ou distinct du Moi individuel ou collectif. Comme l'a exprimé Jean-Paul Sartre : **« Autrui est l'Autre qui n'est pas moi, ou un autre moi-même, mais qui diffère de moi par son existence hors de ma subjectivité »**.
La Connaissance (d'Autrui)
Désigne ici la tentative de comprendre le monde intérieur d'une autre personne (ses pensées, ses émotions, ses motivations). Elle est un rapprochement par le dialogue et l'empathie, mais une partie du monde de l'autre reste toujours impénétrable.
🔒 Gaston Berger : L'Impossibilité de Connaître Autrui (La Solitude Inéluctable)
Gaston Berger soutient que la connaissance d'Autrui est impossible, principalement en raison de la nature de la subjectivité humaine, fondée sur la solitude et l'isolement dans lesquels vivent le Moi et Autrui.
- Le Fondement : La solitude et l'isolement subjectifs ; le monde intérieur de chaque sujet est clos et impénétrable.
- La Position : Il est impossible de pénétrer le monde intérieur d'Autrui. Même l'empathie ou le partage d'émotions ne mèneront jamais à un sentiment totalement identique ou superposable, car il s'agit d'une expérience purement subjective et inaccessible.
- La Conséquence : La volonté de communiquer restera toujours une volonté impossible à réaliser, car l'être humain est condamné à être prisonnier de ses douleurs, isolé dans ses plaisirs, et à ne jamais satisfaire complètement son désir de communion.
- La Conclusion : La connaissance d'Autrui est impossible, en raison de la nature solitaire de l'expérience subjective.
💡 Max Scheler : La Connaissance est Possible (L'Appréhension Totale)
Max Scheler soutient que la connaissance d'Autrui est possible et non impossible, à travers ses manifestations physiologiques (externes), même s'il tente délibérément de cacher ses sentiments.
- Le Fondement : L'appréhension totale des manifestations physiologiques (externes) d'Autrui et leur lien avec l'expérience humaine partagée.
- La Position : La connaissance d'Autrui se fait par l'appréhension globale, qui unit la donnée corporelle externe (le sourire/les larmes) et le sentiment interne qu'elle indique. Scheler dit : **« Nous percevons la joie d'Autrui dans son sourire, de même que nous percevons ses soucis et sa douleur dans ses larmes, sa timidité dans le rouge de son visage, et son amour dans son regard bienveillant... »**
- La Conséquence : La connaissance d'Autrui ne se fait pas en le divisant en dualités (extérieur/intérieur), mais en le considérant comme un tout indivisible. Le sujet et l'autre sont unis par une expérience humaine commune.
- La Conclusion : La connaissance d'Autrui est possible, et elle se réalise par la sympathie et l'appréhension totale des manifestations externes.
❓ Nicolas Malebranche : La Connaissance est Conjecturale (Le Principe d'Analogie)
Nicolas Malebranche part du principe rationaliste classique selon lequel la connaissance doit être claire et distincte (comme les mathématiques, par exemple).
- Le Fondement : Le principe d'analogie (projeter ce que le Moi ressent sur Autrui) et la règle rationaliste de la certitude.
- La Position : Nous ne pouvons pas obtenir une connaissance certaine de tout ce que Autrui ressent. Nous nous contentons de juger de son état en nous basant sur les sensations que nous avons formées de nous-mêmes.
- La Conséquence : Le Moi effectue une opération de « projection » de ses propres sensations et sentiments sur l'autre, selon le principe d'analogie. Par conséquent, le maximum que l'on puisse atteindre est une connaissance conjecturale, hypothétique et sujette au doute.
- La Conclusion : La connaissance d'Autrui est conjecturelle et hypothétique, et repose sur la projection et non sur la certitude.
Conclusion (Synthèse)
Sur la base de ce qui précède, on peut affirmer que la connaissance d'Autrui recèle des paradoxes et des dilemmes divers et variés :
- 🔒 Le Déterminisme de la Solitude (Gaston Berger) : La connaissance d'Autrui est d'une part impossible, du fait que l'être humain est prisonnier de ses propres expériences et qu'il est difficile d'accéder à sa profondeur.
- 💡 L'Appréhension Totale (Max Scheler) : D'autre part, la connaissance d'Autrui se fait par l'appréhension globale, qui unit la donnée corporelle et la donnée psychique.
- ❓ Le Principe d'Analogie (Nicolas Malebranche) : Enfin, les connaissances que nous formons des autres sont sujettes à l'erreur, car nous nous contentons de projeter nos propres sentiments sur eux.
